« Cessez de vous agiter mademoiselle, cela ne vous fera pas sortir plus vite d’ici. »« De toute façon, elle viendra bientôt me chercher. » chanta t-elle en sautillant dans la cellule où elle était enfermée. La jeune femme regardait en l’air comme si des étoiles filaient et tentaient en vain de les attraper.
L’agent de police se demandait à qui elle pouvait bien faire référence. Sa mère peut-être ? Mais il ne doutait pas que les parents de Rosaline ne portaient que peu d’intérêt à leur fille comparé à Livia. Du moins, c’est ce qu’elle ressentait.
« Comment ‘elle’ pourrait être au courant puisque vous n’avez pu contacter personne depuis votre interpellation ? »Elle se mit à rire bruyamment.
« C’est mal connaître ma famille. » déclara t-elle en lui lançant son sourire en coin dont elle seule avait le secret.
Ce soir, comme beaucoup d’autres soirs, Rosaline était sortie. Comme d’habitude, elle avait semé son garde du corps personnel, Tom, pour être plus tranquille. Elle avait besoin d’être seule. Car il y a deux jours, elle venait de perdre une personne qui lui était chère. Pour noyer son chagrin, elle s’adonna à une activité dans laquelle elle excellait : faire la fête. Et faire la fête ne consistait pas seulement à écumer les bars et les boîtes de nuit les plus huppées. Non, elle avait besoin de toutes les substances possibles pour planer, oublier la réalité le temps d’une nuit. Finalement, sa soirée fut écourtée par son interpellation par cet agent de police. Cependant, l’agent ne l’avait pas reconnu en tant que Rosaline Shannon Marchal. Armée de sa perruque et de faux papiers d’identité, elle avait su pour l’instant préserver son nom. Il fallait dire qu’on l’a reconnaissait rarement, elle vivait loin des projecteurs, hormis pour son métier.
Intrigué par la réponse de la jeune femme, le jeune homme pris le temps d’analyser les papiers qu’il lui avait confisqué une demi-heure plus tôt. Jane Miller. Ce nom ne lui disait rien. Et pourtant, il avait un mauvais sentiment concernant la famille de cette jeune fille…
« Vous comptez rester planquer derrière votre ordinateur toute la soirée ? »L’agent releva les yeux et ne répondit pas.
« La soirée va être longue… » souffla t-elle en faisant les cents pas.
Puis une seconde plus tard, le policier se releva et fit rouler sa chaise jusque devant les barreaux. Il se mit à son aise puis croisa les bras.
« Très bien. Commençons par nous présenter dans ce cas. »Intéressée, elle s’approcha des barreaux et s’assit en tailleur afin d’être plus proche de son interlocuteur.
« Ok je commence alors. Jane Miler. 23 ans. Belle, intelligente, riche… »« Pourtant si vous êtes dans un état pareil, c’est que tout n’est pas rose dans votre vie. »Rosaline resta interdite un instant. Voilà, il était temps de revenir dans la réalité et le retour fut violent.
« Je suppose oui… » dit-elle pensive. Puis elle tenta de se donner de la consistance en regardant l’agent droit dans les yeux.
« J’ai perdu la personne que j’aimais, alors oui, je peux le dire, rien ne va. »Elle sentait les larmes monter mais se retint du mieux qu’elle put.
« Toutes mes condoléances. Je ne peux pas ressentir votre douleur mais je peux compatir. »« Merci. Mais c’était un amour à sens unique. Au départ, je pensais qu’il n’avait d’yeux que pour moi. On flirtait, on s’amusait ensemble… J’ai finalement compris que je n’étais qu’une poupée parmi d’autre pour lui. Au fond, je n’avais pas réalisé qu’il avait quelqu’un dans sa vie. Je ne comprenais pas pourquoi il avait cessé de traîner la nuit ni pourquoi il avait même repris ses études… Et le comble dans tout ça, c’est que je La connais, et que c’est moi qui les aie présentés. Quelle fatalité… »« Et cette fille, savait-elle que vous l’aimiez ? »Dans un excès de colère, elle se releva les poings serrés. La jeune femme se figea quelques secondes puis explosa.
« NON ! BIEN SUR QUE NON ! ELLE A TOUJOURS TOUT EU ! L’ATTENTION DE LA FAMILLE, L’INTELLIGENCE, LA GENTILLESSE … ET COMME SI CELA NE LUI SUFFISAIT PAS, ELLE L’A EU… » Elle baissa le regard et serra les barreaux de la cellule de toutes ses forces. Des larmes roulèrent sur ses joues.
« … Lui. »Son souvenir lui était trop douloureux. Elle se sentait brisée, vidé de toute humanité. La jeune femme tomba à genoux, le regard toujours planté dans le sol. Depuis sa tendre enfance, Rosaline et Juliette étaient sans cesse comparées. Et malgré tous les efforts de la petite Marchal pour se faire estimer, rien n’y faisait, Juliette lui volait toujours la vedette quoiqu’elle fasse. Même ses parents critiquaient constamment son comportement parfois insolent, et pourtant, tout ce que Rosaline désirait était l’attention et l’amour de ses parents. Cette situation était incompréhensible pour Rosaline à l’époque et pourtant la raison était bien simple : Juliette était la fille du chef de clan et attirait donc l’attention malgré elle. Même si Rosaline avait fini par comprendre l’intérêt hypocrite qu’avait les gens pour Juliette, la jeune femme grandit avec une estime d’elle-même réduite au néant.
« Non tout va bien, elle délire juste, je contrôle la situation. » dit-il en refermant la porte.
Quelques minutes s’étaient écoulées et Rosaline semblait hors du temps. Elle n’avait même pas remarqué qu’un policier était venu toquer pour savoir si tout allait bien après avoir entendu les cris de Rosaline. L’agent revint s’assoir près de la cellule et tendit une boîte de mouchoirs à la jeune femme.
« Je suis persuadé que vous avez des qualités que cette fille n’a pas. Seulement, vous n’arrivez pas à les voir et vous ne voulez pas les voir. »Elle se moucha bruyamment et prit le temps de reprendre une respiration normale.
« Comment reconnaissez-vous vos qualités ? » demanda t-elle en relevant les yeux.
Le policier resta silencieux. Il ne savait quoi répondre.
« Parce qu’on vous le dit. C’est parce que les autres reconnaissent vos qualités que vous en prenez conscience. »Et pourtant, les compliments ne manquaient pas en ce qui concernait Rosaline. Mais seuls les compliments venant des personnes qui lui étaient chères comptaient à ses yeux, comme la plupart des gens d’ailleurs. Et elle semblait en manquer cruellement. Ce n’était pas seulement une histoire de flatteries mais de soutien. Petite, Rosaline était une petite fille comme les autres : naïve, gentille, douce et timide. Admirative depuis toujours de sa sœur, elle faisait les quatre cent coups avec celle-ci et fonçait toujours tête baissée dans les bêtises. Rosaline avait et a toujours une confiance aveugle en Livia. Ce dont Rosaline ne se doutait pas, c’est que Livia la manipulait inconsciemment. La jeune femme ne s'en est jamais rendu compte, mais Livia a toujours fait en sorte d’accaparer son père et son grand-père, sûrement son ambition surdimensionnée de suivre leurs traces l'avait poussé à entretenir des liens forts avec ces deux là.
« Enfin, assez parlé de moi ! » dit-elle en reprenant son sourire habituel.
L’agent se présenta rapidement et évoqua longuement sa petite sœur qu’il aimait plus que tout. Leur relation semblait fusionnelle.
« Elle en a de la chance votre sœur. J’aurais aimé que ma sœur soit aussi attentionnée avec moi… » dit-elle le regard ailleurs.
« Vous ne vous entendez pas avec votre sœur ? »« Non ce n’est pas vraiment ça… C’est juste que depuis toutes petites nous étions comme les doigts de la main, nous avons été dans la même école à South Kensington. Et tout a changé quand elle a obtenu son bac et qu’elle est partie faire ses études loin de Londres… Ne parlons même pas du fait qu’elle soit revenue à Londres et qu’elle consacre 100% de son temps à son travail. J’ai comme l’impression d’être sortie de sa vie mais sans que l’on m’y ait invité. Elle n’est là que lorsque je vais mal mais quand tout va à peu près bien dans ma vie, je ne semble plus exister à ses yeux. »« Je comprends mieux votre état dans ce cas… »Il comprit très vite que Rosaline se mettait dans un état lamentable seulement dans le but d’attirer l’attention de Livia. Et cela fonctionnait merveilleusement bien.
« Malgré cela je ne peux pas la détester, car elle m’a toujours défendu. Je n’étais pas très douée à l’école et mes parents ont toujours pensé que je n’étais bonne à rien. Ce qui était intolérable dans une famille de mon rang. Elle a été la seule à croire en moi. »« Et si vous lui disiez simplement ce que vous avez sur le cœur ? »« Pensez-vous ! Elle n’a pas le temps pour ça. »Non Livia n’avait pas une minute à elle depuis qu’elle s’était lancée en politique auprès de son père et George Capulet son grand-père. Peut-être se voilait-elle la face sur ce que pouvait ressentir Rosaline ? Peut-être que Rosaline était une épine dans son pied, elle n’était pas bien considérée par le clan et pratiquait un métier à la réputation de sans cervelle. Peut-être craignait-elle que son image ne soit abîmée si elle s’affichait ouvertement aux côtés de sa sœur ? Pour Rosaline peu lui importait, elle comprenait tout à fait que sa sœur avait ses raisons, elle voulait simplement un peu de complicité avec sa sœur.
Puis le téléphone sur le bureau sonna, l’agent et la jeune femme furent tous les deux surpris. L’homme décrocha.
« Excusez-moi commissaire mais sauf votre respect, cette jeune femme est en infraction. »La conversation continua une petite minute puis l’agent reposa le combiné. Rosaline esquissa un sourire et se releva tant bien que mal. Ses jambes s’étaient engourdies. Elle attendit sagement que l’agent vienne ouvrir la cellule et reprit ses effets personnels. À peine eut-elle le temps d’enfiler son manteau que son téléphone sonna. Livia.
« Oui allo ? » répondit-elle en français.
« Qu’as-tu encore fait Rosaline ? » enchaîna sa sœur en français également.
« Roh c’est bon, tout va bien. »« Je suis devant le commissariat dans la voiture, dépêche-toi. »Sans attendre un quelconque retour de sa sœur, Livia raccrocha. L’agent était resté interdit, étonné d’apprendre que Rosaline parlait français parfaitement et sans accent
« Je suis à moitié française. » déclara t-elle en voyant l’expression de son visage.
« Oh avant de partir, merci beaucoup pour m’avoir écouté. Quel est votre nom déjà… Ha oui Lincoln. Je tâcherai de m'en souvenir pour la prochaine fois ! »Elle adressa un clin d’œil à son compagnon de soirée et s’éclipsa rapidement. La jeune femme courut jusqu’à l’extérieur du commissariat. Elle reconnut une berline noire banalisée avec des vitres teintées. Puis soudain quelqu’un lui attrapa par le bras. Tom.
« Tes entrées sont toujours aussi réussies Tom. »« Sinon comment pourrais-je réussir à t’attraper ? Je ne vais pas te faire une énième remontrance mais souviens-toi que le jour où tu seras vraiment en danger, tu regretteras d'avoir échappé à ma surveillance. »« Écoute, tu n’as pas été le premier et tu ne seras pas le dernier à assurer ma surveillance. Personne n’a réussi à me supporter. Je trouve que tu t’en sors pas mal. Et puis si tu en as marre, rien ne t'empêche de quitter ce travail. »Tom se tut et lâcha un soupire. Cela faisait déjà cinq ans qu’il assurait sa protection mais elle lui échappait souvent, trop souvent. Cependant, il avait fini par se prendre d’affection de cette petite poupée au cœur de porcelaine brisé.